Comment penser sa cuisine ? Des couleurs qui montent aux matériaux innovants, en passant par des agencements plus modernes, trois experts ont confié, les nouveautés qui feront les cuisines de demain.
Si autrefois les possibilités étaient très limitées, organiser sa cuisine aujourd’hui relève presque du casse-tête, tant les propositions sur le marché sont multiples. Une chose est sûre, le choix n’est pas anodin. Autant on peut se laisser tenter par un mur bleu canard dans son salon – mur qui sera aisément repeint dans deux ans, lorsque l’on sera lassé de ce coloris -, autant une cuisine se conçoit pour durer une dizaine d’années au moins. La question se pose alors : faire le choix de l’audace, rester classique ou apporter du caractère par petites touches. Ajoutons à cela des questions existentielles du type : «Les cuisines noires seront-elles passées de mode dans deux ans ? Les façades mates sont-elles aussi compliquées d’entretien qu’elles sont élégantes ? Plan de travail en quartz, en bois ou en mélaminé ?» Réponses avec Delphine Pfeiffer, directrice marketing de Schmidt, Paul Picano cogérant de Paul & Benjamin, cuisiniste haut de gamme à Paris, et Amandine Merle, cofondatrice de Plum kitchen & living.
Nouvelle approche
Autrefois pièce fermée, la cuisine s’ouvre désormais sur le salon, faisant partie intégrante de la maison. Au point que de nombreux particuliers cherchent une continuité entre cette pièce fonctionnelle et les autres pièces de vie, du sol, aux matériaux, en passant par la couleur. «La recherche de style est très forte, plus forte qu’auparavant, observe Amandine Merle, on recherche désormais une cuisine qui se fond dans la pièce à vivre.» Paul Picano confirme : «La cuisine étant ouverte, on ne veut pas qu’elle ressemble à une cuisine. Pour ce faire, on fait en sorte de cacher l’électroménager».
Les jusqu’au-boutistes vont même jusqu’à sacrifier des espaces de rangement au profit d’éléments déco, à l’instar des étagères flottantes, plus épurées que des éléments hauts. «Je ne vois plus une cuisine, je vois un mur aménagé qui donne sur le salon, avec dans l’entrée une penderie coordonnée», note Delphine Pfeiffer. C’est ainsi que les coloris des meubles de cuisine ont beaucoup évolué en dix ans. Adieu le chêne massif et la laque blanche : «Chez Plum nous transposons dans la cuisine les couleurs que nous avons envie de voir sur les murs de la maison», explique Amandine Merle.
Bleu pan, beige rosé, terracotta
Si le rouge a trouvé son public au début des années 2000, la cuisine blanche a dominé le marché avant de céder la première place du podium au noir. Pour Delphine Pfeiffer, directrice marketing de Schmidt, «le noir a commencé à monter il y a six ans, pour exploser il y a deux ans». Les ensembles noirs représentent la majorité des cuisines vendues par l’enseigne française. «”Black is the new white“, comme on a l’habitude de dire entre collègues. Cette tendance s’est installée et s’étend désormais à tous les éléments déco de la cuisine et du rangement (étagères métalliques, électroménager, mitigeurs, éviers…). Toutes les pièces se coordonnent autour de la thématique du noir.»
Paul Picano observe pour sa part une légère perte de vitesse de la teinte. Sa clientèle haut de gamme privilégie désormais des couleurs sombres comme Inchyra Blue ou Studio Green de la marque de peintures Farrow & Ball, deux références phares préconisées par le cuisiniste. «Ce sont des couleurs intemporelles dont on ne peut pas se lasser et qui vont en plus très bien vieillir dans le temps.» Idem chez Plum qui mise sur une sélection de teintes grisées : «Les bleu nuit, bleu gris et bleu pan restent des intemporels», estime Amandine Merle qui note aussi un attrait grandissant pour les verts intenses.
En marge du succès des teintes foncées, les pastel ou poudrées pourraient bien tirer leur épingle du jeu. Nombreux seront les sceptiques, mais le rose poudré fait bel et bien son entrée en cuisine. «Dans nos planches tendance pour 2021, on est sur des couleurs naturelles dans des dégradés de beige, de rose, jusqu’au terracotta, confirme Delphine Pfeiffer. On quitte le blanc scandinave pour aller vers des teintes douces et chaleureuses.» La tendance est déjà présente chez Plum qui vend une cuisine rose sur dix (teinte beige rosé ou terra). Sa cofondatrice conseille de jouer avec le bicolore, voire le bimatière : «Une couleur soutenue pour les éléments bas, une couleur claire pour les éléments hauts, un ton mineur et un ton majeur. Ou alors un mix de matières entre un placage noyer et une laque colorée». Même conseil chez Paul & Benjamin qui travaille deux à trois couleurs depuis dix ans : «Quand on décide de mettre une couleur prononcée sur les meubles bas, on opte pour des meubles clairs en haut pour allonger. Je déconseille en revanche une laque mate pour les couleurs foncées, propice aux traces de doigts».
Du mélaminé “supermat” aux cadres en bois
Les meubles en laque mate deviennent un nouveau standard. Ils représentent 2 commandes sur 3 chez Plum, la majorité des ventes chez Schmidt. Cette finition a beau être design et tendance, «les laques mates peuvent se révéler un enfer au premier rayon de soleil», regrette Paul Picano. Amandine Merle confirme : «Les surfaces sont tellement lisses et uniformes que toute trace se voit, surtout si la cuisine est bien exposée». Une solution : le bois peint, qui se nettoie bien et marque moins sur le foncé. «Chez Schmidt, nous avons des matériaux “supermats”, traités pour être anti-traces de doigts, rassure Delphine Pfeiffer. C’est chic et élégant et ça a beaucoup de succès. Le brillant est en perte de vitesse, tout comme le bois qui a souffert ces dernières années des progrès des imprimeurs de mélaminé, qui proposent un réalisme de décor bluffant. On garde tout de même ce savoir-faire pour des clients qui tiennent à ce genre de produit pour des cuisines à cadres d’inspiration anglaise ou de style provençal.»
Des agencements toujours plus symétriques et épurés
Si les matériaux des cuisines ont beaucoup évolué, leur conception n’est pas en reste. «On n’est plus dans des conceptions classiques d’alignement de meubles en haut et de meubles en bas, explique Delphine Pfeiffer. Cela vient du fait que les cuisines d’aujourd’hui sont ouvertes ; on ne peut plus avoir, comme il y a vingt ans, une cuisine avec des hauts et des bas de même profondeur. Il faut qu’on apporte autre chose». En la matière, Amandine Merle et Paul Picano s’accordent sur une tendance grandissante : la «cuisine tableau», qui, avec son effet d’encadrement, crée une pièce dans la cuisine. «Cet effet ordonné, très géométrique, donne un aspect épuré résolument contemporain», juge la cofondatrice de Plum. «À chaque fois qu’on présente un projet et qu’on intègre des encadrements, ça marche à tous les coups», s’enthousiasme le gérant de Paul & Benjamin. Avant de nuancer : «Il faut néanmoins avoir à l’esprit que cela augmente le coût de la cuisine. Il y a d’abord plus de meubles et d’éléments techniques, et ça nécessite de faire appel à un cuisiniste pour un très bon menuisier».
Moins nouveau mais valeur sûre, l’îlot reste l’emblème des cuisines familiales accueillantes et fonctionnelles. «L’îlot est toujours un fantasme pour les clients, affirme Paul Picano. On l’installe seulement si la cuisine s’y prête et on le dessine le plus épuré possible, sans évier ou plaques quand cela est possible.» Pour le concepteur de cuisines, l’ambition est d’alléger au maximum les projets. Son coup de cœur ? Les armoires rentrantes, qui permettent de cacher aisément Thermomix, machine à café ou grille-pain, sans perdre de vue l’aspect pratique.
Autre astuce de cuisiniste pour donner du pep’s à la conception de sa cuisine, les niches, qui permettent de déstructurer l’ensemble. Amandine Merle note une appétence montante pour les intercalaires entre les caissons, donnant aux cuisines un design graphique marqué années 1950. Pour Delphine Pfeiffer, l’allure de la cuisine a beau compter plus qu’avant, le besoin de caser vaisselles, poêles et électroménager reste primordial – enfin pour les clients qui cuisinent vraiment. «La problématique du volume de rangement reste le plus important pour le client. Meubles grande profondeur, toute hauteur, le sur-mesure permet d’utiliser l’espace à fond et d’optimiser le rangement. Il y a cette notion de cuisine conviviale mais le rangement reste le nerf de la guerre».